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Paul-Loup Sulitzer n’est évidemment pas un historien. Son
roman, Popov, s’ouvre sur la reconstitution de la bataille d’Austerlitz
dans lequel le patron de son héros, Paul, joue le rôle
du général Koutouzov...
« Fabuleux.
(...)
Austerlitz, dit-il. Napoléon choisit l’endroit le 21 novembre,
onze jours avant la bataille. C’était en Moravie, l’actuelle
Tchécoslovaquie. Au nord étaient les premiers contreforts
des monts de Bohème, Brünn était à l’ouest,
Vienne au sud, Austerlitz derrière nous. Le ruisseau en contrebas,
qu’on voit à peine à cause de leur brouillard artificiel,
qu’on devrait voir moins encore, était le Goldbach. Nous sommes
sur le plateau du Pratzen... Et je suis Koutouzov.
(...)
A ma droite est le prince Bagration avec treize ou quatorze mille hommes.
En retrait, devant Austerlitz, se tient le grand-duc... Constantin,
je crois, avec la Garde impériale - la russe, Paul, pas celle
de ce maudit Buonaparte. A droite du grand-duc, le prince de Liechtenstein
avec ses cinq mille uhlans et hussards, ses cuirassiers de Lorraine...
Et moi, Paul, moi Koutouzov, je me trouve à côté
de mes deux empereurs, celui d’Autriche et celui de Moscou, qu’on appelle
l’Archange et que j’ai supplié d’attendre pour livrer bataille
mais qui est passé outre...
(...)
- la bataille a commencé, dit Chastel. Regardez donc.
Et il se mit à citer les unités qui faisaient mouvement,
dans leurs uniformes multicolores à dominante blanche: régiments
des Szecklers, chasseurs à pied russes, régiments de Vyborg,
de Perm et de Koursk, hussards d’Elisabethgrad, dragons de Tchernigov...
(...)
Et c’est ce brouillard qui a fait Austerlitz, Paul. Le Pratzen était
ensoleillé, à l’aube du 2 décembre 1805: les Français
ont pu voir sur les hauteurs le déferlement des vagues d’assaut
russo-autrichiennes, marchant au sud, vers Telnitz et Sokolnitz. Mais
moi Koutouzov, je ne vois rien: le jour se lève à peine,
le brouillard givrant me dissimule les hommes de Soult, les divisions
Vandamme, Oudinot et Saint-Hilaire, plus de vingt mille hommes en tout,
que ce satané Bunonaparte va jeter droit sur mon centre pour
me surprendre...
(...)
Et de temps à autre, il s’interrompait pour donner des ordres
rééls.
- Quoique ce soit historiquement faux, Paul: dans la réalité,
Koutouzov était ivre, soûl comme un moujik, et il ne prit
que peu de part à la bataille. Outre cela, il était borgne,
et maussade, il boudait, obligé de livrer une bataille à
laquelle il ne croyait pas...
(...)
Au sud, Paul, à Telnitz et à Sokolnitz, nous autres Austro-Russes,
sommes à plus de cinq contre un. Nous sommes quarante mille et
ils sont à peine huit mille, 3e de ligne et Chasseurs corses,
que va venir renforcer le 26e léger. Mais ils vont tenir, nous
ne passerons pas et c’est le premier signe de ce que le destin favorise
Buonaparte l’Usurpateur...
(...)
En tant que Koutouzov, je commence à comprendre. Sur ma gauche,
les colonnes d’assaut s’éloignent vers Telnitz. Il est trop tard
pour les rappeler, je suis pris de vitesse par la fulgurante avance
des Français. Je dispose des huit mille hommes de Kollowrath,
des neuf mille de Miloradovitch, je suis encore à deux contre
un, Vandamme et Saint-Hilaire disposent au mieux de huit mille soldats,
et d’à peine douze canons...
(...)
Le brouillard artificiel était à présent tout à
fait dissipé. Sur la droite, deux armées à cheval
se découvrirent face à face: cuirassiers d’Hautpoul et
Nansouty opposés aux cuirassiers et uhlans de Jean de Liechtenstein:
- le dispositif français, Paul, pour le simple plaisir d’étaler
mes connaissance... Du nord au sud, les corps d’armée de Lannes
et de Suchet, puis Murat et Soult, et Legrand et Davout sur la droite.
Soult est en train de m’enfoncer, Davout me résiste et en renfort,
ayant parcouru cent cinquante kilomètres à pied en deux
jours, lui viennent les divisions Bourcier et Friant. Je n’ai pas d’autre
solution que de faire pivoter mes quatre-vingt-dix mille hommes d’un
quart de tour à droite, pour m’opposer à l’attaque de
flanc. Je dois enjoindre à Miloradovitch de tenir à tout
prix, je fais intervenir d’ores et déjà la Garde impériale
russe de mon tsar bien-aimé... Tout ce que Koutouzov n’a pas
fait et qui pourtant... »
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