Après avoir ordonné de poursuivre
l’ennemi dans toutes les directions, l’Empereur se rendit à son
nouveau quartier général, établi à la maison
de poste de Posoritz, sur la route d’Olmütz. Il était radieux,
cela se conçoit, bien qu’il exprimât plusieurs fois le
regret que la seule aigle que nous ayons perdue appartint au 4e de ligne,
dont le prince Joseph son frère était colonel, et qu’elle
eût été prise par le régiment du grand-duc
Constantin, frère de l’empereur de Russie ; cela était,
en effet, assez piquant, et rendait la perte plus sensible ; mais Napoléon
reçut bientôt une grande consolation. Le prince Jean de
Lichtenstein vint, de la part de l’empereur d’Autriche, lui demander
une entrevue, et Napoléon, comprenant que cela devait amener
la paix et le délivrer de la crainte de voir les Prussiens marcher
sur ses derrières avant qu’il fût délivrés
de ses ennemis actuels, y consentit.
(
) A la bataille d’Austerlitz, je ne reçus aucune blessure
bien que je fusse souvent très exposé, notamment lors
de la mêlée de la cavalerie de la garde russe sur le plateau
de Pratzen. L’Empereur m’avait envoyé porter des ordres au général
Rapp, que je parvins très difficilement à joindre au milieu
de cet épouvantable pêle-mêle de gens qui s’entr’égorgeaient.
Mon cheval heurta contre celui d’un chevalier-garde, et nos sabres allaient
se croiser, lorsque nous fûmes séparés par les combattants
; j’en fus quitte pour une forte contusion.
(
) La défaite éprouvée par les Russes avait
jeté leur armée dans une telle confusion que tout ce qui
avait échappé au désastre d’Austerlitz se hâta
de gagner la Galicie, afin de se soustraire au vainqueur. La déroute
fut complète : les Français firent un très grand
nombre de prisonniers et trouvèrent les chemins couverts de canons
et de bagages abandonnés. L’Empereur de Russie, qui avait cru
marcher à une victoire certaine, s’éloigna navré
de douleur, en autorisant son allié François II à
traiter avec Napoléon. Le soir même de la bataille, l’empereur
d’Autriche, pour sauver son malheureux pays d’une ruine complète,
avait fait demander une entrevue à l’empereur des Français,
et d’après l’assentiment de Napoléon, il s’était
arrêté au village de Nasiedlowitz. L’entrevue eut lieu
le 4, près du moulin de Poleny, entre les lignes des avant-postes
autrichiens et français. J’assistai à cette conférence
mémorable.
Napoléon, parti de fort grand matin du château d’Austerlitz,
accompagné de son nombreux état-major, se trouva le premier
au rendez-vous, mit pied à terre et se promenait autour d’un
bivouac lorsque, voyant arriver l’empereur d’Autriche, il alla à
lui et l’embrassa cordialement
Spectacle bien fait pour inspirer
des réflexions philosophiques ! Un empereur d’Allemagne venant
s’humilier et solliciter la paix auprès d’un petit gentilhomme
corse, naguère sous-lieutenant d’artillerie, que ses talents,
des circonstances heureuses et le courage des armées françaises
avaient élevé au faîte du pouvoir et rendu l’arbitre
des destinées de l’Europe !
Napoléon n’abusa pas de la position dans laquelle se trouvait
l’empereur d’Autriche ; il fut affectueux et d’une politesse extrême,
autant que nous pûmes en juger de la distance à laquelle
se tenaient respectueusement les deux états-majors. Un armistice
fut conclu entre les deux souverains, qui convinrent d’envoyer de part
et d’autre des plénipotentiaires à Brünn, afin d’y
négocier un traité de paix entre la France et l’Autriche.
Les empereurs s’embrassèrent de nouveau en se séparant
: celui d’Allemagne retourna à Nasiedolowitz, et Napoléon
revint coucher au château d’Austerlitz. (
) Je n’entrerai
ici dans aucun détail sur les changements politiques qui furent
le résultat de la bataille d’Austerlitz et de la paix de Presbourg.
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