De l’écriture à la typographie

De l'écriture à la typographie, Jérôme Peignot

Accents

Les accents ne sont-ils pas comme des adieux, les dernières notations musicales de notre alphabet déchiré? C’est par eux, par ces touches sonores qui se posent sur les lignes que nos livres relèvent encore de la musique. Ne serait-ce que par le truchement de ses accents, une écriture bouge, papillonne, bourdonne. Ce tintamarre est celui de l’esprit. L’écriture bourdonne et la page est musicale. Et la ponctuation? Qu’est-elle d’autre, sinon la mise en musique des pages? Toute la littérature se réduit à une affaire de ponctuation. Le point et virgule est la pierre d’achoppement de toutes les plumes.

Art & écriture

C’est la pensée qui a donné naissance aux signes et non pas le contraire. C’est aussi, ce qui lui a valu d’être habitée par la main de ceux qui l’ont enrichie de leur sensibilité; enrichie, non seulement en gonflant ses courbes de vie, mais aussi en la nourrissant de l’intérieur. Ainsi peut-on affirmer qu’un lien existe entre le tempérament artistique d’un peuple et son écriture. Elle en est comme la vibration la plus intime.

Besoin de communication

On écrit, comme d’ailleurs on lit, par besoin de communiquer.

Calligraphie (par Rémi Peignot)

La présence vivifiante de la main dans le graphisme de la lettre reste le seul moyen de la réveiller de son sommeil séculaire. Seul, le geste de l’écriture permet de rendre aux signes alphabétiques une certaine chaleur humaine, à l’instar de la voix dans l’audition.

Compréhension du monde

En dépit de ce qui vient d’être dit, loin d’être une analyse phonétique du langage, une écriture est le symbole de la réalité qu’elle entend représenter. Avant d’être une prise de possession du verbe, elle est une prise de possession du monde. Les premières écritures n’ont pas eu seulement pour ambition de traduire des sons, mais de brasser le monde pour le restituer.

Cursives

Les cursives sont des fatalités. Elles sont à la typographie ce que l’argot est à une langue. Chancre des alphabets, c’est finalement grâce à elles qu’elles s’enrichissent.

Humanité

L’humanité ne serait pas ce qu’elle est si les hommes n’avaient écrit, n’écrivaient pas. L’écriture est la vraie conscience de l’humanité.

A travers l’histoire des lettres c’est, finalement, de celle de l’humanité que l’on traite.

Invasion de la typographie

L’accumulation, la superposition des formes graphiques auxquelles nous assistons aujourd’hui sont loin d’être sans intérêt. Le Pop en est la preuve qui est comme une réponse donnée par les artistes à l’obsession, à l’agression typographique, même, dont nous sommes les objets. L’utilisation dans l’art de ce qui, apparemment, était le moins utilisable comme, par Lichtenstein par exemple, des trames mécaniques, nous apporte la preuve que l’invasion de la typographie peut être, sinon arrêtée, du moins dominée.

Lire

On n’y songe jamais assez: lire est un prodige. Enfin abandonné à cette invite à laquelle nous nous refusions comme, toujours, aux plus grands des transports; de nos yeux qui dévorent les lignes, nous sommes comme un souffle: nous attisons la fournaise des mots. Lire, c’est aussi avancer, basculer d’un mot dans l’autre, bouler sur les lignes, faire la roue. Lire vous gonfle d’une stupeur maîtrisée, du vertige de se retrouver au bout de soi, sauvé. Lire, c’est étouffer, demander grâce, une trêve parce que c’est trop beau.

Lois du plomb

Une trop grande liberté obscurcit le ciel typographique. Dès lors que les lois du plomb ne pèsent plus sur les lettres, celles d’entre elles aux hampes et aux hastes accusées ne vont-elles pas gagner l’espace typographique, l’envahir comme une gangrène?

Naissance

Écrire c’est naître.

Nouvelle signification

Tapé, un poème n’est pas loin de devenir un tableau, un Mondrian qui ne s’avoue pas.

Mise en page

Digne de ce nom, un écrivain n’est pas non plus homme à badiner avec les questions de mise en page. Le moment le plus secret, le moins conscient de la création littéraire est donc, non seulement une mise en mots mais, aussi, une véritable mise en page, laquelle fait déjà partie intégrante du mouvement créateur et, déjà, promet le texte à peine né à tout destin typographique qui se confondra avec son avenir.

N’empêche, bien que cela soit paradoxal, pour un lecteur, le chemin le plus court qui le sépare d’un auteur est tout de même celui de l’abstraction. Ainsi ne restera-t-il plus à un auteur qu’à choisir le caractère grâce auquel il sera imprimé. En optant pour un caractère plus que pour un autre, un auteur réduit au minimum le risque qu’il encourt de ne pas être déchiffré. Sans doute, alors, un intermédiaire de plus le séparera-t-il de son lecteur. S’il choisit bien son caractère, la contrepartie de cet inconvénient est que, dans son allure matérielle, son propos y gagnera considérablement en lisibilité. La plus belle des écritures ne vaudra jamais le plus beau des bas de casse dont, sournois, le travail sur nos esprits est indéniablement plus efficace.

Secrets

Les caractères ne révèlent leurs secrets et partant, leurs beautés qu’à ceux qui les regardent attentivement.