« MON FRERE,
j’imagine que, lorsque ce courrier vous
arrivera, mon aide de camp Lebrun, que j’ai expédié du
champ de bataille, sera arrivé à Paris. Après quelques
jours de manœuvres, j’ai eu hier une bataille décisive.
J’ai mis en déroute l’armée coalisée et commandée
en personne par les deux empereurs de Russie et d’Allemagne. Leur armée
était forte de 80,000 Russes et de 30,000 Autrichiens. Je leur
ai fait à peu près 40,000 prisonniers, parmi lesquels
une vingtaine de généraux russes, quarante drapeaux, cent
pièces de canon, tous les étendards de la garde impériale
de Russie. Toute l’armée s’est couverte de gloire.
L’ennemi a laissé au moins 12,000 ou 15,000 hommes sur le champ
de bataille. Je ne connais pas encore ma perte; je l’évalue à
8 ou 900 hommes tués, et le double blessés. Une colonne
entière s’est jetée dans un lac, et la plus grande partie
s’est noyée ; on entend encore de ces malheureux qui crient et
qu’il est impossible de sauver. Les deux empereurs sont dans une assez
mauvaise position. Vous pouvez faire imprimer l’analyse de ces nouvelles
sans les donner comme extraites d’une lettre de moi, ce qui n’est pas
convenable. Vous recevrez demain le bulletin. Quoique j’aie bivouaqué
ces huit derniers jours en plein air, ma santé est cependant
bonne. Ce soir, je suis couché dans un lit, dans le beau château
de M. de Kaunitz, à Austerlitz, et j’ai changé de chemise,
ce qui ne m’était pas arrivé depuis huit jours. Il y a
eu une charge de ma Garde et de celle de l’empereur de Russie; la garde
de l’empereur de Russie a été culbutée. Le prince
Repnine, commandant ce corps, a été pris avec une partie
du corps, les étendards et l’artillerie de la garde russe.
L’empereur d’Allemagne m’a envoyé ce matin le prince de Liechtenstein
pour me demander une entrevue. Il est possible que la paix s’ensuive
assez rapidement. Mon armée sur le champ de bataille a été
moins nombreuse que la sienne, mais l’ennemi a été pris
en flagrant délit pendant qu’il manœuvrait. »
NAPOLEON IER
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